Portage salarial : une solution pour les travailleurs des plateformes ?

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Les travailleurs des plateformes : indépendance et incertitudes
Depuis quelques années le terme « ubérisation » est entré dans le vocabulaire courant pour désigner le bouleversement des modèles économique traditionnels notamment celui induit par l’émergence des plateformes numériques.

La technologie combinée au statut de l’auto-entrepreneur a créé une nouvelle forme d’organisation de travail ultra flexible fondée sur des algorithmes capables d’ajuster, en temps réel, l’offre et la demande de services.

S’il reste minoritaire par rapport aux formes d’emploi classiques, ce travail indépendant via les plateformes numériques a connu une forte augmentation ces dernières années. Pour certains professionnels, ces plateformes sont un outil bienvenu au service de leur activité. Pour d’autres, en revanche, être travailleur des plateformes est surtout synonyme de précarité.

Les indépendants ne bénéficient pas, en effet, de la protection sociale liée au statut de salarié. La précarisation des indépendants « ubérisés », régulièrement dénoncée, a notamment été illustrée à l’occasion de la crise sanitaire.

Du côté des plateformes, il peut exister un risque de voir leur contrat avec les travailleurs requalifiés en contrat de travail, de se voir condamner pour prêt illicite de main d’œuvre illicite ou délit de marchandage. Un arrêt de la Cour de cassation a récemment confirmé le jugement requalifiant la relation entre Uber et un indépendant en contrat de travail, avec toutes les conséquences que cela implique. Certains voient déjà dans cette décision la mort du modèle des plateformes qui font travailler plus de 200 000 indépendants.

Sans arriver pour l’heure à une telle conclusion, il est incontestable que l’absence d’un cadre défini et l’incertitude autour du statut des travailleurs de plateformes est préjudiciable à la fois aux travailleurs, désireux d’une meilleure protection et aux plateformes, qui peuvent, à l’instar d’Uber, voir leur mode de fonctionnement remis en cause par le juge.

La volonté du Président Macron de créer un statut spécifique applicable à ces indépendants s’est heurtée à la complexité de mettre en place un nouveau statut et au délicat problème du coût lié à la protection sociale. La seule véritable avancée a été la mise en place d’une assurance chômage pour les travailleurs indépendants correspondant à une allocation de 800€ pendant 6 mois. Mais en un an, moins de 5 000 indépendants ont pu en bénéficier en raison des conditions très restrictives d’attribution.

Le rapport « Réguler les plateformes numériques de travail » de Jean-Yves FROUIN remis au Premier ministre en décembre de l’année dernière a donc logiquement exclu la mise en place d’un tiers-statut. Le recours à un tiers-employeur est la piste privilégiée. Sont ainsi envisagés le recours au portage salarial ou aux coopératives d’activités et d’emploi. Cette solution aurait l’avantage d’étendre les droits sociaux des travailleurs des plateformes, préserver leur autonomie d’exercice et sécuriser les relations contractuelles.
Les conclusions de ce rapport, qui apparaissent comme un compromis, ne semblent néanmoins, pour l’heure, satisfaire ni les indépendants ni les plateformes.

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Le portage salarial comme solution ?

Le portage salarial permet à des professionnels indépendants d’exercer leur activité, en toute autonomie en bénéficiant du statut de salarié. Le recours au portage salarial passe par la conclusion d’un contrat de travail avec une société de portage salarial qui assure la gestion administrative et fiscale de l’activité et verse un salaire au professionnel (on parle alors de « salarié porté »). Le travailleur inscrit sur une plateforme serait donc salarié par la société de portage salarial et accèderait aux mêmes droits qu’un salarié classique : assurance chômage, complémentaire santé, retraite, etc.

Ce dispositif constitue une voie médiane entre le besoin des travailleurs indépendants de disposer d’une meilleure protection sociale tout en conservant leur autonomie et les plateformes qui refusent d’endosser le rôle d’employeur.
Le professionnel qui recourt au portage salarial reste, en effet, libre dans l’organisation de son travail et autonome dans son activité. L’institutionnalisation de ce mécanisme conduirait vraisemblablement les tribunaux à modifier leur grille de lecture sur la requalification des contrats des travailleurs de plateforme en contrat de travail.

Le portage salarial présente beaucoup d’avantages mais n’est toutefois pas actuellement adapté à toutes les situations, et notamment à celles par les travailleurs des plateformes. Tout d’abord, il impose un salaire minimum au-delà du Smic horaire. Par ailleurs, même si les non-cadres peuvent théoriquement utiliser le portage salarial, les niveaux d’autonomie et de rémunération exigés par la convention collective le réserve plutôt aujourd’hui aux cadres. Jean-Yves Frouin souligne, dès lors, qu’il conviendrait de faire évoluer le statut juridique du portage salarial pour l’adapter au modèle des plateformes.

Enfin, la mise en place d’une protection sociale dans le cadre du portage salarial ou dans le cadre d’une autre solution telle que la coopérative d’activité et d’emploi entraînerait nécessairement un coût supplémentaire qui devrait être supporté par les plateformes. Or, rien n’indique que celles-ci soient prêtes à accepter de prendre en charge un tel coût, au risque de devoir rogner leurs marges ou augmenter leurs prix.

Le portage salarial demeure une solution sérieuse pour les travailleurs des plateformes : il s’agit d’un mécanisme déjà existant, fonctionnant très bien pour beaucoup d’indépendants. Il apporte la sécurité en préservant l’autonomie des travailleurs. Bien qu’il ne soit pas adapté à tous les travailleurs indépendants dans sa forme actuelle, il pourrait être adopté par certains dès à présent et par un plus grand nombre encore peut-être à l’avenir. Le PEPS (syndicat des entreprises de portage salarial) s’est ainsi félicité dans un communiqué des conclusions du rapport Frouin et s’est déclaré prêt à travailler avec l’ensemble des acteurs pour poursuivre la réflexion autour d’une solution bénéfique pour tous.